Chaupadi: Au Népal, punies pour avoir leurs règles

En France le tabou des règles se lève tout doucement: on voit désormais du sang rouge dans les publicités pour les protections menstruelles. Le débat sur la précarité menstruelle a été pris en main par le gouvernement en place. Nous ne sommes plus obligées de passer par des expressions détournées mettant en scène les Anglais pour parler de nos menstruations.

Toutefois, cette levée du tabou n’a pas lieu partout dans le monde, et nous allons aujourd’hui nous pencher sur l’exemple de la tradition du Chaupadi au Népal.

“Chaupadi”, vous avez dit?

La tradition du Chaupadi s’inscrit dans les rites de la religion hindoue: il est clairement mentionné dans les textes sacrés hindous que le sang menstruel est le fruit du péché, il est par conséquent considéré sale et impur. De ces croyances est née la tradition Chaupadi: pendant la semaine de leurs règles, les femmes femmes sont forcées à l’exil. Elles sont séparé du reste de la communauté et cela peut se faire de plusieurs manières.

  1. Elles peuvent vivre dans un coin séparé de la maison.
  2. Dans une maison séparée
  3. Dans une hutte spécifique au chaupadi.

En plus de cet isolement géographique, des restrictions comportementales doivent être observées. Il leur est interdit:

  • De parler ou de s’approcher des hommes de la communauté,
  • Doivent laver le linge taché de sang seulement après le coucher du soleil,
  • Ne peuvent pas cuisiner ou rentrer dans la cuisine
  • Elles ne peuvent pas manger certains aliments, dont les produits laitiers, les produits à base de viande, les légumes et les fruits. Ces restrictions diminuent bien les possibilités lors de l’élaboration des menus …

Une tradition risquée

Le chaupadi est un exemple des traditions néfastes pour la santé de celles et ceux qui les observent. Les risques sont grands. En effet, les huttes dans lesquelles les femmes sont envoyées sont insalubres, et souvent équipées ni en eau ni en électricité. Durant cette semaine d’exil, les femmes, et parfois leurs enfants qu’elles doivent prendre avec elles, sont exposés au froid, à la faim, aux bêtes sauvages, aux violeurs. Cette tradition a déjà coûté la vie de plusieurs femmes. En 2019, une femme et ses deux enfants sont mort lors de leur semaine d’exil, et une jeune femme

était également décédée quelques semaines auparavant dans des circonstances similaires. En 2017, une jeune femme est décédée d’une morsure de serpent dont elle avait été victime, exilée dans sa hutte.

Le Chaupadi cause aussi des dégâts collatéraux. D’une part, les jeunes filles sont de fait déscolarisées pendant leur exil menstruel, et à force d’une semaine par mois, le retard dans l’instruction et l’éducation s’accumule rapidement. D’autre part, étant obligées de cacher les tissus utilisés pour récolter le sang, ceux-ci sont souvent mal séchés ou étendus, dans des recoins sombres et mal aérés ou sous des matelas. Des démangeaisons ou infections peuvent se développer en conséquence.

 

Malgré les risques, le poids de la tradition est encore très fort : un religieux hindou dans ce reportage dit « si je disais à ma femme et à ma fille de rester à l’intérieur de la maison, et pas dehors quand elles ont leurs règles, je serais le seul dans le village à le faire et j’aurais tout le monde contre moi ». On comprend ici à quel point le poids de la tradition, de l’habitude et de la pression sociale rend les changements sociaux longs et fastidieux. Mener ces combats demande force et détermination, et surtout être prêt à se faire des ennemis : la figure de proue de la Brigade de défense du droit des femmes en Inde (qui lutte pour permettre l’accès aux temples à toutes les femmes, même pendant leurs règles) reçoit énormément de menaces de mort.

chaupadi femme isolee
chaupadi enfant

La symbolique d’une telle tradition

Au-delà des conséquences physiques pour les femmes, reléguer les femmes hors de l’espace domestique est une nouvelle façon de « jeter la honte sur le corps féminin » (Courrier International, 2017). C’est, encore une fois, faire comprendre aux femmes dès leur plus jeune âge que le fonctionnement sain de leur corps est impur et doit être caché. Par ailleurs, cela engendre une méconnaissance du corps féminin : puisque celui-ci est tabou, les jeunes filles ne sont pas éduquées sur le fonctionnement de leur propre corps, alors que cette connaissance de soi est indispensable pour s’approprier son corps et s’en sentir maître. Ce tabou à propos des menstruations et l’obligation de se soumettre à une telle tradition est un symbole du peu de pouvoir que les femmes népalaises ont sur leur propre corps : d’après Amnesty International, « de nombreuses femmes et jeunes filles se voient essentiellement dépossédées de tout contrôle sur leur corps et leur vie ».

De nouvelles initiatives menées

Depuis 2005, la loi népalaise prévoit une peine de 3 mois de prison et une amende de 3000 roupies (environ 25€) pour quiconque forcerait une femme au Chaupadi. Mais la condamnation légale n’est pas synonyme du changement des pratiques : comme on l’a vu, le poids des traditions est encore très fort. D’après le rapport du Bureau américain de la démocratie, des droits de l’homme et du travail, une femme sur cinq pratique encore le Chaupadi au Népal, et une femme sur deux dans les régions du Centre-Ouest et de l’Ouest du pays. La forme de Chaupadi pratiquée est plus ou moins sévère suivant les régions : par exemple à Katmandou la femme ne peut pas rentrer dans la cuisine ou dans les lieux de culte mais elle peut continuer à séjourner dans le foyer familial.

 

Pour faire changer les choses, la nouvelle génération est porteuse de beaucoup d’espoirs. En Inde, où les règles sont également considérées comme impures (mais le Chaupadi n’y est pas observé), des jeunes femmes ont lancé sur les réseaux sociaux le #happytobleed (« heureuse de saigner ») pour dédiaboliser les règles, lever le tabou et protester contre l’interdiction pour les femmes réglées d’entrer dans les temples. Egalement, un collectif féministe indien a créé une chanson à la fois humoristique et politique à la gloire des règles, reprenant certains codes du rap.

 

On observe dans certaines régions que les pratiques évoluent : au nord du pays, les jeunes femmes peuvent étendre leurs serviettes hygiéniques réutilisables à la vue de tous sans courir de danger, adolescents et adolescentes peuvent discuter ensemble des règles et du Chaupadi, les mères sont formées et peuvent expliquer à leurs filles leurs saignements. Sur place, des activistes tentent de faire évoluer les mentalités en éduquant sur les règles et en enseignant qu’il n’y a rien de maudit ou de sale à ce propos. Mais faire ce travail est difficile, car les traditions millénaires sont bien ancrées et le poids des humains est bien peu de chose face aux mœurs culturelles.

Le meilleur moyen pour démystifier les règles est d’en parler : voilà une situation de plus où la discussion et l’éducation feront bouger les lignes. L’évolution récente des pratiques nous permet d’espérer qu’un jour peut-être, être une femme ne sera plus un risque pour la santé.

Auteur: Juliette Chevet

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